L’APOROPHOBIE : LA PEUR ET LE REJET DU PAUVRE
Il y a des mots comme “homophobie” pour nommer l’agressivité envers les homosexuels, le mot “sexisme” utilisé pour nommer l’attitude de supériorité des hommes envers les femmes ou le mot “xénophobie” pour nommer l’hostilité à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un individu considéré comme étranger.
Mais comment peut-on appeler le rejet et l’hostilité envers les gens qui vivent dans la pauvreté ou la précarité et pourquoi est-il si important d’avoir un mot pour le nommer ?
Adela Cortina* philosophe espagnole, a beaucoup écrit sur un mot nouveau qu’elle a nommé l’aporophobie. Le terme est formé par les mots grecs àporos “pauvre » en français et fébeo “peur irrationnelle, hostilité, être effrayé ”.
L’aporophobie est donc le mot pour désigner la peur et l’hostilité à l’égard des personnes qui vivent dans la pauvreté et la précarité.
Pourquoi est-il si important de la nommer ? Pour la comprendre et la combattre ! Adela Cortina a compris son importance et elle explique comment la peur du pauvre est un sentiment enfoui dans notre culture qui remonte loin dans l’histoire de notre construction mentale.
De tout temps, les gens ont cherché à avoir des relations avec des personnes plus importantes qu’eux- mêmes. Les relations avec les notables et les puissants peuvent apporter des faveurs, de l’argent, du prestige, de la reconnaissance et de l’information.
Mais un pauvre, que peut il apporter de bon ?
La présence d’une personne pauvre nous fait peur parce qu’elle ne nous apporte rien dans le sens indiqué ci dessus, de plus, elle nous renvoie à notre propre fragilité et à notre propre misère et nous dévoile une société profondément injuste dont nous sommes partie prenante.
La peur des personnes pauvres peut être graduée, elle les rend invisibles au minima ou alors elle va provoquer une attitude d’hostilité remplie de préjugés contre ces pauvres, “ce sont des feignants, s’ils ne travaillent pas, c’est parce qu’ils ne veulent pas“. Elle s’amplifiera contre la solidarité ou l’aide que les personnes pauvres reçoivent : “ Ils sont trop assistés, c’est cela qui les rend incapables d’être autonomes ” ou pire encore, en les rendant responsables des problèmes sociaux : “ ils profitent de la sécu, ils nous coûtent un pognon de dingue”, “ce sont des trafiquants et des voleurs”.
Ces préjugés servent à maintenir et justifier l’ordre actuel des choses et à ne pas le remettre en cause. Oui, nommer le rejet du pauvre, l’aporophobie, c’est dévoiler une image tronquée des personnes pauvres et en précarité causée par la peur et le dérangement de son existence.
Ceci n’est pas le lot d’une petite partie extrême de la société. L’aporophobie touche toute la population et fausse la relation avec la problématique de la pauvreté, y compris du coté des représentants institutionnels, personnel social, personnel médical, personnel de sécurité, etc…
Cette manière fausse de voir la réalité de la pauvreté, c’est à dire l’aporophobie, empêche ainsi d’aborder politiquement et économiquement le problème de la pauvreté de manière claire et courageuse.
C’est seulement dans des moments critiques et grâce à des voix courageuses comme l’appel de l’Abbé Pierre en l’hiver 1954 ou l’appel de Coluche en 1985 que la société semble se réveiller un temps et prend la mesure des conséquences de l’aporophobie.
On peut se poser la question : que peut-on faire afin de dépasser l’aporophobie ?
Cet article de Mariano est le premier d’une série d’articles qui auront comme objectif de proposer des pistes de réflexion et d’action pour répondre à cette question.
*Adela Cortina a écrit un livre « Aporofobia, el rechazo al pobre » (Paidós, 2017) dans lequel elle explique sa vision face aux problèmes sociaux qui touchent l’Union Européenne vis à vis de l’immigration; problèmes qui ne sont pas liés uniquement à la xénophobie, ou au racisme, mais également au rejet des pauvres.